Françoise Le Veziel
Associée - Avocat - ORATIO Avocats
Enchaîner les CDD en refusant les offres de CDI aura désormais des conséquences pour le salarié… et l’employeur. Françoise Le Veziel, avocate spécialisée en droit du travail, analyse les conséquences du décret du 28 décembre 2023 (n°2023-1307).
Françoise Le Veziel : Quand l'employeur souhaite faire une proposition d'emploi à durée indéterminée à un salarié à l'issue d'un CDD ou d’un contrat d’intérim, il doit notifier sa proposition au salarié par écrit par lettre recommandée avec accusé de réception ou lettre remise en main propre contre décharge ou toutes modalités qui permettent de donner date certaine à sa réception, pour reprendre le jargon juridique. Cette proposition doit accorder au salarié un délai raisonnable pour se prononcer, ce qui signifie que l’employeur doit faire parvenir sa proposition avant le terme du CDD ou du contrat d’intérim.
F. L. V. : Le décret ne précise pas ce que l'on entend par délai raisonnable. Il n’y a pas de recul sur un dispositif exactement similaire, mais c'est un délai qui doit permettre au salarié de prendre la mesure de la proposition qui lui est faite. En pratique, un délai de l’ordre de 8 jours parait raisonnable. Toutefois, il est difficile de prévoir ce que sera l’appréciation des juges sur ce point qui pourrait faire évoluer ce délai en fonction de la durée du CDD initial. La prudence s’impose donc. La question du délai revêt une importance particulière car l’employeur doit le mentionner dans son courrier, et indiquer par ailleurs qu’un défaut de réponse de sa part à l’issue du délai de réflexion vaut rejet de cette proposition.
F. L. V. : Pour que ce refus soit pris en compte, l’offre de CDI doit remplir certaines conditions. L'emploi proposé doit être « identique ou similaire » à celui occupé par la personne en CDD, la rémunération proposée doit être au moins équivalente, de même que la durée de travail. La classification de l'emploi proposé et le lieu de travail doivent également être identiques.
Pour les personnes en contrat d’intérim, les conditions à remplir sont un peu différentes car l’obligation d’information incombe à l’entreprise utilisatrice et que les CDI concernés sont tous ceux proposés pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, sans changement du lieu de travail. Il n’est en revanche pas exigé que le CDI comporte une rémunération et une durée de travail équivalentes ni la même classification.
F. L. V. : En cas de refus exprès ou tacite du salarié dans le délai de réflexion imparti, l’employeur (ou l’entreprise utilisatrice) dispose d’un délai d’un mois pour informer France Travail de ce refus. Cette information doit comporter un certain nombre d’éléments (description de l’emploi proposé, démonstration du caractère similaire de l’emploi proposé, énonciation du délai laissé au salarié).
France Travail pourra éventuellement revenir vers l'employeur pour solliciter un complément d'information en cas de besoin. Si le même salarié a opposé deux refus à deux offres de CDI remplissant ces conditions durant une période de douze mois, France Travail informera le salarié des conséquences potentielles de ses deux refus de CDI sur l’ouverture de droit à l’allocation d’assurance chômage. Pour le salarié qui a refusé deux propositions de CDI après des CDD sur une période de douze mois, le risque est de ne pas être admis à pouvoir bénéficier du versement d’allocations chômage ou de voir les versements suspendus s’il a commencé à en percevoir. Si la proposition de CDI a été faite de manière formelle et avant la fin du CDD, l'employeur peut aussi ne pas verser l'indemnité de fin de contrat à durée déterminée conformément aux dispositions de l’article L.1243-10 du Code du travail qui prévoit cette possibilité « lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente ».
F. L. V. : Le texte ne prévoit pas de sanction spécifique. Si l’employeur n’informe pas France Travail malgré le refus exprès ou tacite du salarié, France Travail pourrait tenter d’invoquer l’existence d’une fraude puisque le salarié percevra des indemnités qu’il n’aurait pas dû percevoir si l’employeur avait rempli son obligation. Encore faudra-t-il pour France Travail avoir connaissance de la proposition de l’employeur et de prouver l’intention de contourner les dispositifs de contrôle d’accès aux indemnités prévues en cas de perte d’emploi. Si tel est le cas, il s’expose aux mesures prévues par l’article L.5429-1 du Code du travail qui vient sanctionner le fait de faire obtenir frauduleusement des allocations chômage. Pour un tel délit, le Code pénal prévoit des sanctions maximales de 2 ans de prison et de 30 000 euros d'amende. Cette situation devrait être rare en pratique. En effet, le refus du CDI par le salarié porte préjudice à l'employeur qui va devoir aller rechercher un nouveau candidat, de sorte qu’il est permis de penser que l’employeur sera sans doute motivé pour informer France Travail, nonobstant la surcharge de travail que représente cette démarche.
F. L. V. : Un employeur peut parfaitement ne pas proposer un CDI à un salarié en CDD et embaucher une autre personne en CDI aussitôt après. Le droit du travail ne prévoit pas de « droit de préemption » du CDI au profit des salariés en CDD. Cela peut sembler étonnant à première vue mais il s’agit là d’une manifestation de la liberté d’entreprendre. La seule obligation en la matière qui incombe à l'employeur est d’informer les salariés en CDD (il en va de même pour les salariés en contrat de mission), qui en font la demande et qui ont une ancienneté continue d'au moins six mois dans l'entreprise, de la liste des postes à pourvoir dans l'entreprise par des CDI.
Pour consulter l’ensemble de cet article paru, le 08 janvier 2024 sur le site www.info-socialrh.fr, cliquez-ici. Les informations indiquées dans cet article sont valables à la date de diffusion de celui-ci.
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