Corinne Lecocq
Associée - Avocat fiscaliste
À la suite du contrôle fiscal d’une entreprise, l’administration peut considérer que des dépenses ou des recettes profitent directement à un bénéficiaire autre que l’entreprise, bien qu’elles ne fassent pas l’objet d’une distribution formelle par cette dernière : on parle alors de « revenus réputés distribués ». L’administration devra alors obtenir l’identité du bénéficiaire en le qualifiant de « maître de l’affaire », notamment dans l’objectif d’imposer, à son niveau, ces revenus réputés distribués.
Une rectification fiscale au niveau de l’entreprise peut avoir des répercussions directes et personnelles sur son dirigeant.
L’administration peut, en effet, au cours d’une vérification de comptabilité, déceler des charges qu’elle estime anormales puisqu’elles ne profitent pas directement à l’entreprise ou qu’elle n’en retirera aucun avantage. Cela se produit par exemple lorsque les dépenses ont été engagées dans l’intérêt personnel d’un dirigeant ou d’un associé. En d’autres termes, elle peut estimer que les dépenses en question qui n’ont pas été engagées « dans l’intérêt de l’entreprise » doivent être requalifiées.
La première conséquence sera la suivante : sous réserve bien entendu qu’elle soit en mesure de justifier sa position tant sur le plan juridique que dans les faits, l’administration fiscale pourra refuser la déduction fiscale des dépenses en question. Ces dépenses sont donc réintégrées dans le bénéfice imposable de la société
Une autre conséquence pourra également être reprise par l’administration : si la dépense n’a pas été engagée dans l’intérêt de l’entreprise, elle pourra, au contraire, considérer que ces dépenses profitent directement au dirigeant ou à un de ses associés ou actionnaires. Et elle pourra en tirer toutes les conséquences en qualifiant ces dépenses de « revenus réputés distribués » qui seront imposables chez le bénéficiaire.
Par principe, les distributions de bénéfices ou de réserves résultent d’une décision des organes de gestion compétents de la société, en l’occurrence l’assemblée générale des associés ou actionnaires lorsqu’il s’agit de décider une distribution de dividendes.
À l’inverse, des « revenus réputés distribués » ne proviennent pas d’une distribution régulière décidée par la société. Au regard de la réglementation fiscale, sont considérés comme revenus distribués, notamment,
Concrètement, cette qualification peut être utilisée par l’administration en cas de rehaussement du bénéfice imposable d’une entreprise ou en présence d’un déficit pour imposer, au titre de ces revenus réputés distribués, non seulement les associés ou actionnaires, mais aussi des tiers.
L’administration peut exiger par mise en demeure de l’entreprise qu’elle lui fournisse, dans un délai de 30 jours, l’identité du bénéficiaire de la rémunération ou de la distribution occulte. Deux possibilités s’offrent à l’entreprise :
Si l’administration souhaite mettre en œuvre cette procédure spéciale, elle doit formuler sa demande obligatoirement par écrit sous la forme d’une mise en demeure mentionnant expressément le délai de réponse de 30 jours.
À défaut de désignation, l’administration sera aussi encline à rechercher le bénéficiaire des sommes qu’elle qualifie de « revenus réputés distribués » et s’appuiera, pour cela, sur la notion de « maître de l’affaire » pour faire valoir que le dirigeant est, à l’égard de la société distributrice, ce bénéficiaire.
La définition du « maître de l’affaire » n’existe pas dans la réglementation fiscale. C’est une notion qui est issue de la jurisprudence pour permettre à l’administration de dépasser les apparences. Elle pourra ainsi déterminer l’identité de la personne qui contrôle effectivement l’entreprise dans le but de désigner le bénéficiaire des revenus réputés distribués.
Cette notion repose sur la capacité réelle d’une personne à contrôler la gestion et les finances de l’entreprise. Le « maître de l’affaire » est donc la personne qui exerce effectivement la gestion de l’entreprise, tant sur le plan administratif et commercial que sur le plan financier, sans aucun contrôle, c’est-à-dire sans devoir rendre compte de sa gestion à qui que ce soit. Il peut s’agir d’un dirigeant de droit ou de fait, ou encore d’un associé majoritaire.
Pour considérer qu’un dirigeant agit en tant que « maître de l’affaire », l’administration comme les juges retiennent plusieurs indices, comme le nombre d’actions détenues, le fait de disposer de la signature sociale, l’existence d’une procuration sur les comptes de l’entreprise, l’exercice de la gérance, en droit ou en fait, etc.
En tout état de cause, il ne peut y avoir qu’un seul et unique « maître de l’affaire », comme l’a précisé le Conseil d’État à l’occasion d’une affaire dans laquelle l’administration avait rectifié l’impôt de deux frères, l’un associé majoritaire et l’autre associé minoritaire d’une même entreprise, en les qualifiant tous deux de « maître de l’affaire » : le juge a considéré que même si la réalité économique de l’entreprise établissait que plusieurs personnes en exerçaient la maîtrise conjointe, il ne pouvait y avoir qu’un seul et unique « maître de l’affaire », à savoir celui qui dispose des pouvoirs les plus étendus dans le contrôle, la gestion et l’administration de l’entreprise.
Le bénéficiaire dûment désigné comme tel au regard des revenus réputés distribués est alors imposé personnellement au titre de son impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Les revenus sont majorés de 25 % le calcul de l’impôt étant donc fait sur une base de 125 %.
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